À la tête de la galerie familiale Delvaille, installée depuis 1955 au cœur du Carré Rive Gauche, Olivier Delvaille perpétue avec passion et exigence un métier d’artisanat et de transmission. Spécialiste du mobilier français du XVIIIᵉ siècle et de la peinture des XIXᵉ et XXᵉ siècles, il incarne une vision sensible et authentique du métier d’antiquaire : plus qu’un commerce, une mission de sauvegarde et de mise en lumière de chefs-d’œuvre parfois oubliés.
Rencontre avec Olivier Delvaille.
Qu’est-ce qui ce qui vous anime au quotidien ?
J’aime avant tout le rapport avec les gens. C’est un métier de relation, où l’on côtoie à la fois des acheteurs, des vendeurs et des artisans. La restauration est une partie importante de mon travail : je travaille avec des ébénistes, des doreurs, des tapissiers… des centaines d’artisans. Ce sont des gens formidables, dotés d’un talent incroyable pour redonner vie à nos meubles. Ce que j’aime aussi, c’est cette contribution à la préservation de notre patrimoine. Acheter des meubles abîmés, leur faire traverser plusieurs mains expertes pour les restaurer et les voir renaître, c’est très gratifiant. Cela n’a rien à voir avec l’argent : on est simplement content quand on voit arriver un meuble après des mois de restauration, et qu’on se dit : « voilà, on l’a sauvé, on a fait quelque chose de bien ».
Votre galerie est installée au coeur du Carré Rive Gauche depuis 195. Que représente ce quartier d’antiquaires pour vous ?
J’y suis particulièrement attaché, parce que la personne qui a créé le Carré Rive Gauche, il y a 45 ans, c’est ma mère. J’ai vécu sa création, son essor, et aussi sa baisse… mais une baisse très relative, car le quartier reste aujourd’hui encore unique au monde. Il n’a pas d’équivalent.
Vous pouvez aller à New York, vous ne trouverez jamais une telle concentration de quantité et de qualité. Quelqu’un qui arrive à Paris, qu’il soit français ou étranger, et qui veut acheter une œuvre d’art ancienne, il n’a pas vraiment le choix : il peut aller au Carré… ou au Carré.
Qu’est-ce qui vous séduit dans le mobilier du XVIIIᵉ siècle, au point d’en avoir fait votre spécialité ?
J’aime le mobilier du XVIIIᵉ siècle parce que j’estime qu’on n’a jamais rien fait de plus beau et qu’on ne fera jamais rien de plus beau. Le temps consacré à ces meubles par les artisans de l’époque est souvent phénoménal. Plus j’entends des gens dire : « personne ne veut de ces meubles anciens », plus je les aime. C’est une telle bêtise ! Il suffit de regarder le Carré Rive Gauche : c’est le dernier quartier au monde qui regroupe autant de spécialistes. Les seules galeries qui tiennent depuis très longtemps sont celles qui font du mobilier du XVIIIᵉ siècle. S’il y a encore des clients, c’est bien la preuve que la demande existe. Ceux qui affirment que tout le monde ne veut plus que du design ou des années 70 se trompent.
Parmi vos nombreuses découvertes, pour quelle œuvre avez-vous eu un véritable coup de cœur ?
C’est très difficile de choisir, après 40 ans de métier… Mais récemment, j’ai acheté un très beau Jean-Baptiste Olive, un des chefs de file de l’école de Marseille, à la fin du XIXᵉ siècle. Un impressionniste, une très belle toile, grand format, dans un magnifique cadre d’origine.
Ce qui m’a marqué, c’est qu’elle n’avait jamais été nettoyée depuis sa création, en 1890. Ça rejoint ce que je vous disais au début : restaurer une œuvre comme celle-ci, c’est toujours magique. On voit réapparaître les couleurs, la dorure d’origine du cadre… Quand ça « claque » en sortant de l’atelier, on est émus. Des histoires comme celle-ci, j’en ai vécu des centaines, mais l’une efface l’autre de la mémoire.
Mais quand on est passionné, comme je le suis, nos objets ne nous quittent jamais. On s’en souvient toute une vie. Parfois, des clients reviennent 25 ans plus tard : je ne les reconnais pas, mais s’ils me disent ce qu’ils avaient acheté, la lumière se rallume aussitôt dans ma mémoire, et je m’en souviens. C’est très puissant.
Comment définissez-vous la valeur d’une pièce et votre envie de l’acquérir ?
Notre philosophie est simple : « Nous n’achetons que ce que nous aimerions garder. » On n’achète pas juste pour gagner de l’argent, mais parce qu’on aime l’objet, parce qu’on aimerait pouvoir le garder avec nous toute une vie. C’est là, à mes yeux, la différence entre un brocanteur et un antiquaire.
Si je devais résumer notre métier en un seul mot, ce serait la sélection. Si j’achète un meuble Louis XV, je vais m’assurer qu’il est bien d’époque Louis XV, qu’il est authentique, qu’il n’a pas été transformé ou modifié, qu’il est en bon état de conservation. Tout ça, c’est technique. Pour un tableau, c’est pareil : on vérifie qu’il est authentique, qu’il est bien signé, qu’il correspond à la bonne période… C’est presque mathématique. Mais ce qui nous distingue, c’est qu’au-delà de la technique, on va choisir un objet qu’on aime.
Quand quelqu’un pousse la porte d’un antiquaire, il achète aussi un peu son goût. Ça n’a rien de prétentieux : personne ne prétend détenir LE goût. Mais ce que je constate, c’est que mes clients, lorsqu’ils viennent chez moi, ils aiment tout. Et c’est logique : on s’est rencontrés un jour par hasard, et on a compris qu’on partageait le même goût.
Devenir antiquaire, est-ce quelque chose qui s’apprend ?
Reprendre une galerie, cela ne se fait pas du jour au lendemain. J’estime qu’il faut bien une quinzaine d’années pour apprendre ce métier et acquérir la capacité d’acheter seul. Pour ma part, la passation s’est faite en douceur : j’ai travaillé longtemps avec ma mère, et au bout d’une quinze ans, j’ai compris que j’étais devenu l’antiquaire.
Et quand on part de rien, on commence toujours par acheter des objets qui n’ont pas trop de valeur. On se trompe, et on apprend en se trompant.
Aujourd’hui, je sais que je devrais vendre la galerie quand je prendrai ma retraite, dans deux ans. Mais vous savez… antiquaire, c’est un métier qu’on ne quitte jamais vraiment.


